De gros navires dynamiques

Claudio Zemp

Depuis début 2022, la situation des caisses de pensions a quasiment basculé du jour au lendemain: les chiffres noirs ont viré au rouge et les gains se sont transformés en pertes. Après un excellent exercice 2021 couronné par des rendements juteux qui ont également permis de rémunérer les avoirs de vieillesse des assurés, la nouvelle année a changé la donne: 2022 est synonyme de rendements négatifs pour les caisses de pensions. A la tempête boursière s’ajoute l’inflation. Tous ces sujets ont été discutés par un public de professionnels lors de la manifestation à l’aéroport de Zurich.

Une majorité d’assurés à la même enseigne

Si l’inflation pose de nouvelles questions aux fondations collectives (comme à toutes les caisses de pensions), on retrouve aussi quelques constantes dans l’éventail des défis à relever: premièrement, la responsabilité ne peut pas être déléguée et incombe toujours à l’organe suprême de la fondation qui est généralement le conseil de fondation d’une ICC. Deuxièmement, la tendance lourde en faveur des ICC se poursuit: aujourd’hui, près des trois quarts des destinataires sont assurés auprès d’une institution de ce type et l’importance systémique de certains acteurs pourrait bientôt être reconnue. Le nombre de fondations collectives et communes est resté stable depuis 2004 (collectives: 121, communes: 115). En revanche, les caisses de pensions d’entreprises sont menacées de disparition car leur nombre de cesse de diminuer.

Transparence et gestion du risque

Patrik Schaller, Head of Assurance - Insurance Core, associé chez EY, a fait le point dans son intervention sur les exigences à remplir du point de vue du réviseur. Les dernières années ont apporté de nombreuses nouveautés réglementaires dans ce domaine. La Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle (CHS PP) s’est également intéressée aux ICC car ses dernières se font concurrence entre elles et jouent un rôle croissant sur le marché de la prévoyance.

Patrik Schaller encourage vivement les conseils de fondation à bien comprendre les risques supportés à leur niveau. Dans cette optique, il leur conseille d’établir un inventaire recensant les principaux risques pour la fondation. Une structure simple est utile pour la gestion du risque, souligne-t-il. Les systèmes de contrôle internes devraient dès maintenant être organisés de manière à ce que le navire reste toujours manœuvrable, y compris en haute mer. Cela n’est plus possible sans l’aide de prestataires externes et de systèmes automatisés, selon lui.

Les spécialistes Patrick Bonadei, expert en caisses de pensions CSEP, actuaire ASA, Swisslife, et Jeannette Leuch, présidente du conseil de fondation Nest et partenaire chez  Invalue, ont ensuite pris la parole sur la gestion de l’inflation. Ils invitent les responsables des institutions de prévoyance à garder leur sang-froid durant cette mauvaise année 2022 et à ne pas oublier la question de l’équité intergénérationnelle.  Le renchérissement des prix touche en premier lieu les bénéficiaires de rentes et non les assurés actifs.

Taux d’intérêt techniques et degrés de couverture économiques

Lors du débat qui concluait la rencontre, trois gérants de caisse de pensions ont discuté de questions brûlantes. Adrian Brupbacher de PAT-BVG, Markus Büchi de la Spida et Laurent Schläfli de Profond ont chacun présenté leur institution. Lors de leurs échanges avec Kaspar Hohler, ils ont réitéré les constats établis dans la branche. Les prévisions tablent globalement sur une situation de découvert technique pour de nombreuses caisses à la fin de l’année. Mais il y a plus important que le degré de couverture affiché: la structure de la caisse de pensions et le fait que la hausse des taux d’intérêt améliore fondamentalement les perspectives des institutions de prévoyance. Les participants au débat espèrent donc que les autorités de surveillance se montreront flexibles et pragmatiques. 

Les abaissements en cours du taux d’intérêt technique sont interrompus et les conseils de fondation évoquent même une hausse des taux concernés. Le relèvement de la limite supérieure pour le taux d’intérêt technique selon la formule de la Chambre des experts devrait encore alimenter ces discussions.

L’information des assurés concernant leur rémunération pose également problème, car ils sont sont habitués à des rémunérations élevées après plusieurs années fastes.   Les augmentations de rentes deviennent également un sujet, sachant qu’il s’agit pour l’instant de versements uniques. A moins d’un retournement de situation miraculeux au cours de l’année financière, la plupart des institutions de prévoyance ne pourront quasiment pas accorder de prestations supplémentaires en 2022.   

Le débat s’est conclu sur une note positive. Même si une fondation se retrouve en découvert, ce n’est pas la fin du monde. Grâce à la structure d’âge en moyenne plus jeune de la plupart des fondations, elles sont capables de prendre des risques et peuvent, contrairement aux caisses de rentiers pures, se sortir d’une situation négative par leurs propres moyens.