«Si les hommes et les femmes vivent en moyenne 150 ans, on doit revoir le concept de l’âge de la retraite.»
Séverine Arnold, Professeure ordinaire en Sciences actuarielles à l’Université de Lausanne
«Des chercheurs ont récemment réussi à rajeunir des souris. Si cela pouvait se répliquer sur les hommes, l’impact serait sans précédent.»
Entrevue: Anne Yammine
La problématique de la longévité et la mortalité est l’un de vos sujets de recherches de prédilection. Que faut-il avoir en tête quand on analyse ces deux phénomènes?
Il existe des milliers de modèles pour calculer la longévité et la mortalité. Chaque expert ou chercheur vous présentera des projections bien différentes selon les modèles et hypothèses qu’il utilise.
Peut-on prédire l’espérance de vie de façon fiable?
Non. On ne sait pas de quoi l’avenir sera fait. Nous ne pouvons faire que des projections basées sur des hypothèses. Il faut donc bien comprendre les hypothèses que l’on utilise. Par exemple, bon nombre de modèles font l’hypothèse que les évolutions passées se répliqueront à l’avenir.
Dans ce cas, tentons notre chance: comment l’espérance de vie va-t-elle évoluer en Suisse au cours des prochaines années?
L’espérance de vie semble continuer à augmenter, mais son augmentation va en ralentissant. Mais quand nous parlons d’espérance de vie, nous devons avoir en tête qu’il existe différentes espérances de vie: par exemple celle à la naissance qui augmente de moins en moins, voire ralentit rapidement. Ou encore celle à 65 ans qui intéresse tout particulièrement les caisses de pensions dans le calcul de leurs rentes de vieillesse. L’espérance de vie à l’âge de la retraite continue d’augmenter, et ce plus rapidement que l’espérance de vie à la naissance.
Observez-vous des différences entre hommes et femmes par rapport à leur espérance de vie?
Pour les femmes, les expectatives sont plus hautes. Mais les hommes en Suisse sont en train de les rattraper. On observe aussi cela dans d’autres pays par exemple en Espagne. Cependant l’écart entre hommes et femmes reste toujours relativement important.
Quels facteurs ont une influence sur l’évolution de la longévité?
Il faut distinguer entre facteurs positifs et négatifs. Je citerais en guise d’exemple de facteurs positifs les progrès de la médecine, l’amélioration du style de vie et de l’alimentation et la diminution dans la prévalence de certains facteurs de risques. Dans les facteurs négatifs, on peut citer le manque d’activité physique, les troubles alimentaires et surcharge pondérale en croissance, les pandémies – comme vécues depuis un an de façon aiguë. N’oublions pas non plus les guerres, les catastrophes naturelles ou le manque de cohésion sociale, tel qu’observé aux Etats-Unis dernièrement. Mais le plus important est l’atteinte de nos limites biologiques.
Que voulez-vous dire ?
De plus en plus de décès se produisent pour des causes dues au vieillissement. Nous mourons quand notre limite biologique est atteinte c’est-à-dire quand notre corps, vieilli, ne tient plus.
Pourrons-nous un jour vivre éternellement?
Cette question touche un point-clé. Le fait de savoir si on va être capable à l’avenir d’intervenir de façon médicale dans le processus du vieillissement change tout. Pourrons-nous stopper le vieillissement? Pourrons-nous même rajeunir?
Comment répondriez-vous à ces questions?
On peut y répondre de façon négative en pensant que ce ne sera pas possible dans le système dans lequel nous vivons. Mais on peut aussi y trouver des réponses positives: Des chercheurs ont récemment réussi à rajeunir des souris. Si cela pouvait se répliquer sur les hommes, l’impact serait sans précédent.
C’est-à-dire ?
On pourrait théoriquement vivre 1000 ans. Les optimistes pensent que cela arrivera déjà bientôt, que la plupart d’entre nous verrons ces évolutions de leur vivant.
Quel impact une telle évolution aurait sur notre système de prévoyance?
Si les hommes et les femmes vivent en moyenne 150 ans, on doit revoir le concept de l’âge de la retraite. Il ne pourrait plus être maintenu. A la place d’observer un âge chronologique, on pourrait par exemple utiliser l’âge biologique d’une personne.
Cela révolutionnerait certes aussi la façon de conceptualiser la vie de travail?
Absolument, il faut réfléchir tout différemment: si les gens vivent et travaillent plus longtemps, ils pourraient faire des années sabbatiques régulièrement et non seulement en fin de carrière. Nous devrions repenser toute notre société.
Et pour le système des rentes?
Si notre espérance de vie continue d’augmenter, les rentes devront être versées plus longtemps. Les caisses de pensions devront alors repenser leur financement. Il y aura aussi d’autres coûts dans le système social, telle que la hausse des soins de dépendances. Ces coûts vont également augmenter.
Que faire pour financer ces coûts?
On pourrait envisager un financement à travers une assurance spécifique comme le font déjà d’autres pays, tel que l’Allemagne. Mais nous pouvons aussi envisager un financement mixte entre l’état et des assurances privées.
Personnellement face à cette évolution êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste?
Je pense que nous devrons changer notre vision de ce qu’est une personne âgée, de ce que signifie la vieillesse. Les personnes âgées peuvent et doivent être déjà beaucoup plus impliquées dans la société. Elles sont pleines de capacités et totalisent une expérience folle. La vieillesse est souvent perçue comme négativement. Il serait temps de voir cette étape de notre vie bien plus positivement, avec toutes les perspectives qu’elle a à offrir.
Pour en savoir plus:
Dans son édition de mars 2021, la «Prévoyance Professionnelle Suisse» (PPS) se penche sur le défi de la longévité et les différents modèles de mortalité. En avril, la partie accent de la PPS sera consacrée au système des 3 piliers. Celui-ci y subira un test de résistance. Vous y retrouverez une entrevue avec Prof. Dr. Séverine Arnold qui analysera les défis actuels en matière de prévoyance ainsi que le rôle des femmes dans le domaine du 2e pilier.