«Prévoyance Professionnelle Suisse» 07/19: numérisation

Des plaisirs ambivalents

De par leur mandat, les conseils de fondation d’une caisse de pensions sont souvent confrontés à des thèmes sans rapport avec leur vie de tous les jours. Par exemple, un règlement des prestations, ou la question de savoir s’il faudrait investir le capital-vieillesse dans des classes d’actifs exotiques. Pour la numérisation c’est différent : ce thème nous concerne tous parce que le digital est omniprésent dans notre quotidien et nous ouvre d’innombrables possibilités à pratiquement chaque pas.  

Nous pensons pouvoir affirmer qu’une vaste majorité de la population suisse a un rapport ambivalent à la numérisation. Nous profitons tous volontiers des avantages qu’elle nous procure. Transactions bancaires, shopping, réservations, démarches administratives que l’on peut liquider sans se présenter au guichet en personne, et jusqu’au paiement sans espèces et à la recherche d’une âme sœur : tout est possible en ligne. En même temps, nous craignons les  excès de la numérisation: personne n’aimerait devenir un consommateur ou un patient totalement transparent ; un personnage que les grossistes, les assureurs, ou pire, des individus ou des entreprises peu recommandables, peuvent scruter jusque dans ses moindres recoins parce qu’ils ont obtenu nos coordonnées personnelles par des détours insondables. Un sentiment de dépendance totale s’y ajoute qui commence par des petites choses : ces blocages subits où ni clics, ni balayage de l’écran ne servent plus à rien, l’écran reste figé. Et ça finit par le refus soudain du système d’accéder à une demande pour des raisons que l’on ignore. L’intelligence normale est dépassée, nos connaissances informatiques de toute façon, la logique à laquelle obéissent les algorithmes nous échappe totalement.

Les caisses de pensions - ou leurs organes dirigeants pour être précis - peuvent choisir le degré de numérisation souhaité: est-ce que toute l’administration sera entièrement automatisée? Est-ce qu’on va développer le site Web, créer une appli pour intensifier la communication avec les assurés ? Dans quels domaines de l’activité de placement faut-il se fier au Big Data et à l’intelligence machine (question posée dans le numéro de juillet de la « Prévoyance Professionnelle Suisse »)? Est-ce qu’on veut par exemple confier toutes les décisions de placement tactiques à l’ordinateur? Et si on choisit cette option, qui répondra s’il s’avère que l’intelligence artificielle n’est pas à la hauteur de sa tâche?

Lorsque la numérisation se met au service de l’utilisateur, elle présente une utilité indéniable. Mais si l’utilisateur doit se subordonner aux exigences de la numérisation, c’est nettement plus délicat. Les outils de gestion du risque, les cockpits de pilotage ou les possibilités de formation continue électronique interactive peuvent épauler le conseil de fondation dans ses tâches. S’il s’agit d’applications sérieuses et intuitives, elles pourront, dans une certaine mesure, affranchir les membres d’un conseil de fondation de leur dépendance des experts et rendre le mandat plus facilement gérable pour une milice, y compris dans le domaine des placements, où des signaux émis par des algorithmes peuvent apporter une information supplémentaire utile à la prise de décision tactique. Mais le troc d’automatismes contre des compétences devrait s’arrêter là. La décision finale doit toujours rester humaine, car en fin de compte, c’est l’être humain qui  devra assumer si les choses tournent mal.  

Le point d’interrogation est le signe de ponctuation caractéristique dans l’approche de la numérisation. Il est du devoir du conseil de fondation de répondre à tous les points d’interrogation. Par des phrases et des points - ou même des points d’exclamation. Point à la ligne.

Kaspar Hohler
Rédacteur en chef «Prévoyance Professionnelle Suisse»