«Prévoyance Professionnelle Suisse» 01/20 - Interview avec Yvonne Seiler Zimmermann et Markus Hübscher

Si les taux d’intérêt restent bas, la réforme de la LPP devra être plus incisive que prévu actuellement

Yvonne Seiler Zimmermann et Markus Hübscher estiment que les taux d’intérêt bas vont encore durer un bon moment. Il est d’autant plus important de parler ouvertement aux assurés et de réformer la LPP en conséquence. Lisez ci-après la deuxième partie d’un entretien sur la problématique des faibles taux d’intérêt dont la première partie a été publiée dans le numéro de janvier de la «Prévoyance Professionnelle Suisse».

Rédacteur en chef adj. «Prévoyance Professionnelle Suisse»

Interview et photos: Gregor Gubser

Les assurés s’inquiètent, entre autres à cause des taux d’intérêt négatifs. Comment améliorer la confiance dans le 2e pilier?

Seiler Zimmermann: Les paramètres ont effectivement baissé, et donc aussi le niveau des prestations garanties. Mais aucune garantie ne peut finalement être donnée dans le cadre du 2e pilier sans que cela n‘entraîne une répartition. La meilleure façon d’améliorer la confiance serait d’abandonner l’idée de sécurité et de faire comprendre aux gens que la vie n’est pas sans risques.

Hübscher: Nous avons déjà abordé le système des rentes variables au sein de la Caisse de pensions CFF. Je crois qu’une certaine variabilité est tolérable pour les nouveaux rentiers, mais qu’on ne peut pas corriger à la baisse sans fin.

Seiler Zimmermann: Je suis d’accord que les gens ont besoin d’une certaine sécurité de planification. Mais le 2e pilier ne doit pas en être le garant, c’est plutôt la mission de la politique sociale. Le montant d’une rente garantie est une décision purement politique. Si on l’emballe dans le 2e pilier, il en résulte que les gens ne savent plus dans quel sens s’opère le transfert: des riches aux pauvres, ou des jeunes aux seniors?

Hübscher: Les sondages révèlent surtout une érosion de la confiance chez les jeunes. Les personnes proches de la retraite pensent qu’elles vont toucher leur rente. On a moins confiance dans le système en général que dans sa propre caisse de pensions. Un peu comme dans une grande entreprise où on fait plus confiance à sa propre équipe qu’au grand patron au sommet de la hiérarchie.

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La meilleure façon d’améliorer la confiance serait d’abandonner l’idée de sécurité et de faire comprendre aux gens que la vie n’est pas sans risques.

Yvonne Seiler Zimmermann est chargée de cours et chef de projet à la Haute école spécialisée de Lucerne – Économie,  Institut pour services financiers à Zoug IFZ.

 

Pourquoi est-ce que les jeunes sont particulièrement sceptiques?

Seiler Zimmermann: Nous avons déjà réalisé de nombreux sondages dont un spécifiquement consacré à la confiance dans le système de prévoyance et la caisse de pensions. Il en ressort qu’une personne qui approuve le système aura aussi plutôt confiance dans sa caisse de pensions. Mais il s’avère aussi que les jeunes s’intéressent peu à la question et sont plutôt mal informés. Ils disent qu’ils ne peuvent de toute façon rien faire, que tout est dicté par la politique. Ils disent aussi – et c’est presque pire à mon avis: «De toute façon, on va bien prendre soin de nous.»

Hübscher: Ils sentent instinctivement ce que les experts constatent à travers les chiffres : les transferts importants. Il faut y travailler. Mais c’est facile de dire qu’on ne touchera pas de rente AVS plus tard. Dans le fond, les jeunes n’y croient pas, parce que sinon ils devraient se comporter autrement et mettre beaucoup plus de côté. Dans leur for intérieur, ils sont quand même persuadés qu’il sera pourvu à leurs besoins dans la vieillesse.

Seiler Zimmermann: On entend souvent dire que ceux qui commencent à réfléchir à la question peu avant la retraite regrettent de ne pas avoir commencé plus tôt à se constituer un 3e pilier. Cela montre qu’il faut sensibiliser très tôt au fait que la rente ne sera peut-être pas ce que l’on espérait et rappeler que chacun doit prendre ses responsabilités et aussi se constituer son propre pécule.

Dans leur proposition de réforme, les partenaires sociaux veulent introduire une composante de répartition dans le 2e pilier. Pensez-vous que c’est une bonne idée?

Seiler Zimmermann: Je n’ai rien contre le supplément de rente en soi, mais certainement pas dans le cadre du 2e pilier, c’est l’Etat qui doit le financer.

Hübscher: Je préfère la proposition de l’ASIP à celle des partenaires sociaux.

A quoi devrait ressembler une bonne réforme de la LPP selon vous?

Seiler Zimmermann: Il faut en finir avec les réglementations qui sont loin des réalités du marché des capitaux. Supprimer les promesses de garanties et accepter de supporter plus de risque. Mais qui dit risque dit aussi droit de codécision. On évoluerait vers des modèles à option avec des rentes variables. Dans le 2e pilier, il faudrait renoncer aux objectifs politiques et sociaux tels qu’une rente minimale. Il faut faire la distinction entre la constitution d’un patrimoine et les objectifs de la politique sociale. Tant qu’il y aura des garanties dans le 2e pilier, avec des conséquences qui ne sont pas immédiatement apparentes, le système restera complexe et manquera de transparence.

Hübscher: Pour moi, les solutions entièrement basées sur la primauté des cotisations comme on les voit par exemple aux Etats-Unis ne constituent pas la bonne approche. Je trouverais cela inquiétant pour nos destinataires. D’ailleurs, il suffit de regarder ce qui se passe à l’étranger: on y fait marche arrière, on renonce aux solutions à pure primauté des cotisations qui vous exposent de plein fouet au risque événementiel au moment de la retraite. Une personne qui a pris sa retraite en 2008 aux Etats-Unis a vu sa fortune s’éroder de 20 à 25%.

Seiler Zimmermann: Si on veut préserver les garanties dans le 2e pilier, il faudra aussi discuter de l’étendue de la répartition que l’on est prêt à accepter.  En revanche, si la rente n’est plus taillée dans la pierre, on aura une marge de négociation de part et d’autre.

Hübscher: Si on garantit la rente à un niveau plus bas, on pourra redistribuer les revenus de manière équitable – si revenus il y a – et ainsi minimiser la répartition.

Pour moi, ce serait déjà bien que les taux d’intérêt ne baissent plus.

Markus Hübscher est directeur de la CP CFF depuis plus de dix ans.

 

Quand les taux d’intérêt repartiront-ils à la hausse?

Hübscher: Pour moi, ce serait déjà bien que les taux d’intérêt ne baissent plus. C’est pourtant ce que laissent présager les signaux émis par les banques centrales qui dictent actuellement leur évolution.

Seiler Zimmermann: Le marché s’attend à ce que les taux d’intérêt restent bas. Ils ne remonteront en tout cas pas assez vite pour que le problème de la prévoyance se résolve tout seul.