Une classe d’actifs très vaste et peu homogène
En conséquence, notre approche n’est pas d’abord «quantitative» - comme cela serait le cas, par exemple, dans le cadre d’une étude de type ALM, où il y aurait lieu de déterminer la performance et la volatilité attendue, ainsi que les corrélations avec les autres classes d’actifs – mais plutôt de nature «qualitative», en cernant la palette des risques à prendre en considération antérieurement à toute décision de placement.
Les nouvelles dispositions de l’OPP2
On rappellera d’abord que les nouvelles dispositions de l’OPP 2 (du 26 août 2020, en vigueur depuis octobre de la même année) ne définissent pas les types de placements qui entrent dans la catégorie des «infrastructures» et ne comportent pas d’indications spécifiques relatives aux risques liés à ces placements; cette classe d’actifs est explicitement mentionnée dans l’OPP depuis 2014 seulement.
En effet, le nouvel art. 53 al. 1, let. d bis se borne à mentionner les infrastructures comme classe d’actifs particulière – en les différenciant des placements alternatifs ou non-traditionnels, dont ils faisaient partie précédemment. De plus, le nouveau libellé de l’art. 53 al.2 souligne que les placements dans cette classe «peuvent s’effectuer sous la forme de placements directs, de placements collectifs conformes à l’art. 56 ou d’instruments financiers dérivés», à la condition que les placements «soient diversifiés de façon appropriée».
Cela implique donc que s’appliquent par ailleurs les principes et dispositions générales de l’OPP 2 en matière de «sécurité et répartition du risque» (art. 50), de «rendement» (art. 51) et de «liquidité» (art. 52). L’art. 55 limite explicitement la proportion des investissements en infrastructures, à 10%, sans d’ailleurs introduire de différenciation entre placements domestiques et internationaux.
Il résulte de ce qui précède que les organes de l’institution de prévoyance doivent assurer elles-mêmes l’identification, la quantification et surtout une gestion des risques liés aux placements dans les infrastructures – ou en mandatant à cet effet leurs prestataires financiers.
Une classe d’actifs très vaste et peu homogène
Sans qu’il n’existe une typologie ou une classification homogène reconnue sur le plan international, on range habituellement parmi les «infrastructures» des actifs très variables, en particulier ceux indiqués ci-dessous :
- Réseaux liés aux transports: autoroutes, réseaux ferroviaires, aéroports, ponts, tunnels, ports, canaux (transports)
- Réseaux liés aux télécommunications: antennes téléphoniques, réseaux de communication (communication)
- Systèmes de production d’énergie: centrales nucléaires, centrales hydro-électriques, barrages, réseaux d’éoliennes, centrales de panneaux solaires, mines, raffineries (energy)
- Réseaux de distribution d’énergie et de ressources essentielles: électricité, eau, gaz (utilities)
- Structures immobilières sociales dédiées: hôpitaux, écoles, prisons, stades sportifs, centres de conférences, postes (social buildings)
- Réseaux numériques: fibre optique, centres de données (digital)
A la lecture de cette liste – non-exhaustive – il apparaît que les infrastructures présentent un éventail d’actifs non seulement très vaste, mais également peu homogène. Cela rend l’identification des risques liés à ces différents placements relativement délicate et complexe.
Caractéristiques des infrastructures qui déterminent les risques d’investissements
Dans la perspective des placements, il y a lieu de mettre en évidence plusieurs caractéristiques majeures, qui permettent de mieux appréhender les risques inhérents à ce type de placements :
> Valeurs réelles et matérielles: Les placements dans les infrastructures se rangent dans le même groupe que les actions, l’immobilier et les matières premières (ainsi que, selon certains, le private equity) (real or tangible assets); de ce fait, ils présentent en principe une bonne protection contre les phénomènes de dépréciation monétaire (inflation).
> Actifs massifs : Dans presque tous les cas, les investissements sont réalisés dans des actifs qui présentent un caractère massif qu’il est difficile ou impossible de scinder en portions plus petites ; seul le recours à des formes de répartition et de mutualisation des placements permet de fragmenter la propriété de ces actifs et de les rendre disponibles à un grand nombre d’investisseurs.
> Très long terme : Toutes les infrastructures majeures ont une durée de vie très longue, qui se calcule le plus souvent en décennies plutôt qu’en années; de ce fait, les investisseurs doivent également intégrer un horizon très long dans leurs décisions d’investissements. Ce caractère d’investissement peut certes convenir à des investisseurs comme les caisses de pensions, mais il fait néanmoins peser des contraintes supplémentaires s’agissant de la congruence des flux et de la liquidité.
> Actifs illiquides: Du fait des caractéristiques rappelées ci-dessus, les placements directs dans les infrastructures présentent un fort caractère d’illiquidité. Ce trait défavorable peut être réduit par le recours à des véhicules de placements plus liquides – par exemple, des fonds établis dans des formats standards (de type UCITS) ou cotés en bourse, des sociétés d’investissements, etc. – mais il n’en demeure pas moins un trait essentiel, fortement handicapant.
> Secteur public, partenariats public-privé : Du fait de leur nature même, les infrastructures jouent un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de la vie sociale et économique des collectivités – ce qui explique une réticence de la part des Etats concernant le transfert, pour tout ou partie, vers le secteur privé. Même lorsque le recours au partenariat privé est nécessaire ou justifié, les structures légales privilégiées par les Etats et les collectivités publiques peuvent potentiellement être défavorables à l’investisseur privé, qui se retrouve souvent dans une situation de partenaire junior.
> Endettement public, privatisations, (re)nationalisations : Pour les investisseurs, les possibilités de placements dans les infrastructures sont souvent liées au jeu des privatisations – et des (re)nationalisations. A leur tour, les privatisations sont occasionnées en grande partie par la situation financière défavorable des Etats ou des collectivités, notamment leur endettement. Dans cette perspective on peut escompter que la crise du Covid 19, en 2020 et 2021, ainsi que l’endettement public massif qu’elle a engendré, devrait alimenter durant les prochaines années des possibilités très importantes – et potentiellement attractives – d’investissements dans les infrastructures.
> Durabilité et transition énergétique : Durant la dernière décennie, le marché des placements dans les infrastructures a été fortement alimenté et étoffé par les efforts considérables pour mettre sur pied des processus économiques moins énergivores et plus respectueux de l’environnement (réduction des émissions de CO2) ; la transition énergique est désormais une priorité nationale et globale. Cela explique que nombre d’investissements se sont concentrés sur les placements de ce type. De surcroît, les plans publics d’extension et de renouvellement des infrastructures dans les principales zones économiques, annoncés récemment – Etats-Unis, Europe, Chine avec les «nouvelles routes de la soie» - offriront des possibilités d’investissements intéressantes, mais parmi lesquelles il conviendra de trier le bon grain de l’ivraie.
> Bases et dispositions contractuelles, due diligence: En matière de placements dans les infrastructures, les dispositions contractuelles jouent un rôle de premier plan dans les caractéristiques et le profil de risque de l’actif acquis. Elles déterminent le rendement dégagé par le placement, les coûts et charges, ainsi que les conditions auxquelles l’accord peut être modifié ou dénoncé par les parties. En particulier, ce dernier point est déterminant pour établir la stabilité des contrats et de ses dispositions – s’agissant d’accords dans lesquels les Etats et les collectivités publiques, détenteurs du droit de légiférer et donc d’intervenir directement à leur propre avantage, sont impliqués. C’est l’un des motifs pour lesquels des formules d’arbitrage pour la protection de l’investisseur (privé) sont souvent prévues. En conséquence, l’examen approfondi et rigoureux des contrats – dans le cadre d’exercices de due diligence - est pour l’investisseur indispensable antérieurement à tout engagement financier, s’il entend s’éviter de mauvaises surprises par la suite.
Vous pouvez lire la deuxième partie de l'article, qui porte sur le benchmarking, les risques et les évaluations, dans la section accent du numéro de juillet de la «Prévoyance Professionelle Suisse» consacré aux infrastructures.