«Prévoyance Professionnelle Suisse» 8/21: Taux de couverture et performance

Plus de courage

La situation financière des caisses de pensions n’a jamais été aussi solide. L’heure est venue de voir au-delà des paramètres techniques prudents.

Selon la Commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle, le taux de couverture moyen des caisses de pensions s’établissait à 119.9% à la mi-2021, un record. Deux tiers des institutions de prévoyance ont intégralement atteint leur réserve cible pour fluctuation de valeur. Et ce, alors que les taux d’intérêt technique et les taux de conversion ont connu des baisses massives ces dernières années et que nombre des caisses de pensions ont adopté les tables générationnelles, plus prudentes. Des mesures qui pèsent toutes d’une manière ou d’une autre sur le taux de couverture. Le taux de couverture n’a jamais été aussi élevé alors que dans le même temps, le rendement visé pour maintenir celui-ci n’a jamais été aussi bas. Une combinaison de rêve.

Divide et para

Que faire? La devise guerrière de la Rome antique était «divide et impera», diviser pour mieux régner. Appliquée aux caisses de pensions, cette devise donnerait par analogie «divide et para», diviser pour se préparer, ou transposée à l’investissement, distribuer pour mieux investir. Nous vous présentons en détail ces deux points:

Distribuer
La rémunération moyenne des institutions de prévoyance s’est établie à près de 2.1% au cours des cinq dernières années, un niveau nettement supérieur au taux d’intérêt minimal et au-dessus de la rémunération des rentiers (1.9%). Sur la même période, le rendement moyen a atteint 4.5% p.a. (tous les chiffres proviennent de l’étude Swisscanto 2021).
Dans la mesure où le processus d’ajustement des paramètres de prestation est bien avancé et que les provisions techniques sont largement constituées, une plus grande partie de la performance peut et doit être directement redistribuée aux assurés sous la forme d’une augmentation de la rémunération. Et oui, les rentiers devraient aussi pouvoir en profiter: de nombreuses caisses ont introduit des mécanismes de participation (modèle de cohorte).
Une hausse des taux pour les actifs est souhaitable car au final les rendements ont été obtenus grâce à leur capital. Elle apaiserait également les discussions houleuses sur la redistribution des actifs en faveur des rentiers. Outre l’aspect de l’équité, elle produirait un effet secondaire intéressant: une rémunération attractive augmenterait la fortune des actifs et les inciterait à effectuer davantage de rachats. Le rapport entre les avoirs de vieillesse et le capital des rentiers au sein des caisses de pensions resterait ainsi équilibré, éloignant le spectre d’un 2e pilier de moins en capable de prendre des risques en raison de la forte proportion de rentiers.

Investir
La part des actions dans les portefeuilles des caisses de pensions suisses s’élevait à 32.7% à la fin 2020, là aussi un niveau record, comme le constate l’étude Swisscanto. Mais ce niveau record reste bas en comparaison internationale. Si l’on considère les perspectives à long terme, la performance des actions est bien supérieure à celle des obligations, mais aussi de l’immobilier.
Bien évidemment, la capacité de risque de chaque caisse de pensions dépend de sa structure d’assurés et de l’employeur. Néanmoins, les réserves pour fluctuation de valeur constituées doivent fournir l’occasion de réfléchir à la stratégie de placement. Une part d’actions plus élevée promet un rendement attendu plus élevé. Les fluctuations accrues qui en découlent au sein du portefeuille sont plus facilement supportables en présence d’une réserve de capital importante. Le rendement attendu plus élevé, et là nous revenons au point plus haut, permet aussi d’augmenter la rémunération des actifs.
Présenté ainsi, on pourrait croire à un mouvement perpétuel magique de la fructification de capital, ce qui n’est naturellement pas le cas. Mais l’une des règles de base de l’investissement, c’est que plus l’horizon de placement est long, plus l’investisseur pourra prendre des risques et mieux supporter les baisses temporaires. Autant d’arguments pour que les caisses de pensions puissent prendre davantage de risques de placement, autrement dit, acheter davantage d’actions. 

Mais...

Trois «mais» suivent immédiatement, le dernier étant un peu plus subtil.

Les caisses de pensions ne doivent pas verser dans l’excès et distribuer trop d’argent
C’est exact. Une caisse de pensions doit avoir les reins solides avant de distribuer des rémunérations supplémentaires, ce qui est également dans l’intérêt des assurés. Or, cela fait des années que cet argument est servi aux assurés. Plus de la moitié des généreux rendements des dernières années ont été justement affectés à cette exigence. Aujourd’hui, de nombreuses caisses de pensions ont atteint leurs objectifs en termes de paramètres de prestation et sont solides. Aujourd’hui, les rendements doivent directement profiter aux assurés. Ce n’est pas excessif, mais équitable et approprié.

Les marchés actions sont en surchauffe, ce n’est qu’une question de temps avant que la bulle n’éclate
C’est également vrai. Cependant, cela fait déjà un, deux ou cinq ans que l’on entend le même argument. Personne ne sait quand les marchés actions repartiront à la baisse. Mais une chose est certaine: sur le long terme, les actions font systématiquement mieux que d’autres placements moins sensibles aux fluctuations. Les caisses de pensions qui ont réduit leur part d’actions il y a un, deux ou cinq ans sont passées à côté de belles opportunités au grand dam de leurs assurés. L’histoire des marchés financiers montre que ce sera la même chose à l’avenir si les caisses de pensions n’augmentent pas leur part d’actions avec une pleine capacité de risque, avec ou sans turbulences de marché. 

Une réforme LPP ne peut aboutir que si la nécessité d’agir est manifeste
D’après cet argument, le fait que les caisses de pensions soient en forme et le montrent nuirait à la réforme LPP: la population ne verrait alors plus la nécessité d’agir comme «urgente et impérative», comme le répète à l’envi la branche. Cet argument se tient au plan politique. Mais ce serait un acte d’extorsion abominable que de priver les assurés de milliards en taux d’intérêt aujourd’hui et demain. Si la branche elle-même manque de conviction sur ce point, elle perdra en crédibilité sur le reste. Et la crédibilité vaut aussi son pesant d’or en politique.

Les caisses de pensions doivent faire preuve de davantage d’audace dans leur stratégie de placement et au niveau de la rémunération. L’heure est venue et les assurés les en remercieront.